Être présents au monde, aux autres et à nous

Si conduire sa vie professionnelle est aujourd’hui complexe, c’est bien évidemment parce que l’imprévisibilité structure nos modes de projection, avec l’inquiétude que cela peut générer mais également parce qu’aucune science ni algorithme ne garantit les bons choix, parce que ce qui est vrai pour l’un ne convient pas à d’autres et que ce que je décide aujourd’hui peut s’avérer pesant à un autre moment de ma vie. Alors, dans ce contexte, accompagner les personnes à avancer dans leur parcours, ne peut se réduire ni à une succession d’outils ni à des procédures programmables. Inquiétant ? Ou rassurant plutôt si l’on considère que la vie n’est pas écrite, que les déterminismes sont réels mais que les lignes peuvent bouger, que la singularité est irremplaçable. Alors, s’il n’y a pas de guide officiel de conduite de sa vie professionnelle, ni de bréviaire certifié du bon accompagnateur, le professionnalisme se construit  aussi chemin faisant par des lectures, rencontres, opportunités qui nous ouvrent d’autres réflexions, d’autres horizons. La pensée du sociologue Hartmut Rosa, de ce point de vue,  mérite le détour. Il nous avait largement inspiré dans son analyse de l’accélération et les différents impacts sur nos vies, tant individuelles que collectives. Analyse fouillée et critique au monde moderne. On peut contester certains éléments mais on reste impressionnés par la somme ainsi produite. Depuis quelques années déjà, il présentait dans ses conférences et interviews le concept de résonance qui lui paraît être la réponse à cette accélération qui nous fait perdre les repères et le contact. Contestant l’idée que la réponse à l’accélération est  le ralentissement, le slow, en tout cas pas uniquement, il s’interroge plus largement sur la qualité d’une vie humaine.

La qualité d’une vie humaine dépend du rapport au monde, pour peu qu’il permette une résonance. Celle-ci accroît notre puissance d’agir et, en retour, notre aptitude à nous laisser « prendre », toucher et transformer par le monde. Soit l’exact inverse d’une relation instrumentale, réifiante et « muette », à quoi nous soumet la société moderne. Car si nous les recherchons, nous éprouvons de plus en plus rarement des relations de résonance, en raison de la logique de croissance et d’accélération de la modernité, qui bouleverse en profondeur notre rapport au monde sur le plan individuel et collectif.

Alors que de plus en plus de professionnels s’interrogent sur le sens de leur travail, sur le rapport qu’ils entretiennent avec lui, sur les conséquences identitaires et existentielles qu’introduit le risque de délignification, le travail d’Hartmut Rosa vient éclairer ces questions d’une approche à la fois contextuelle et relationnelle.

En somme, il nous questionne sur notre capacité à être présents au monde, aux autres et à nous, alors que tout peut nous inciter à penser que plus tard ce sera mieux.

À consulter :

Hartmut ROSA, Résonance, Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, 2018

http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-R__sonance-9782707193162.html

Podcast France Culture – La modernité en question

https://www.franceculture.fr/emissions/avis-critique/la-modernite-en-question

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