Si l’on en croit les chercheurs avisés, nous allons collectivement « dans le mur ». On peut bien sûr considérer que rien n’est sûr, qu’on nous alerte pour rien, que la planète ne se réchauffe pas vraiment, que les espèces ne sont pas de plus en plus nombreuses  à disparaître, que les algorithmes et l’intelligence artificielle nous invitent à un monde plus doux, que l’humanité est capable de prendre soin du bien commun…Bien sûr, on peut douter. D’autant que l’on nous annonce la fin du monde depuis tellement longtemps que l’on a tendance à regarder cela avec méfiance.

On peut certes croire ce que l’on veut et la multiplicité des alertes plus ou moins étayées ne produisent pas toujours les effets escomptés : au fond, nous savons bien où ce chemin nous conduit. Nous le savons bien, mais nous n’y croyons pas vraiment selon la formule habile d’Etienne Klein, le physicien-philosophe. Alors, l’accompagnement des vies professionnelles dans un monde confronté à ces mutations multiples, imprévisibles, fascinantes et effrayantes, ne se joue plus vraiment de la même manière. Pour les professionnels que nous sommes, chargés, en quelque sorte, de veiller aux transformations à venir, modestes éclaireurs du monde du travail de demain, nous lisons avec attention tout ce qui peut alimenter notre réflexion et ouvrir notre esprit critique. Nous ne sommes pas dupes. La prévision est difficile, surtout quand elle concerne l’avenir, disait avec humour Pierre Dac. Et la lecture assidue des productions intellectuelles de prévision laisse perplexe. Dans la phase dépressive de novembre, quand le ciel est bas, on peut se délecter à lire les augures des collapsologues multiples qui pensent que le sort est jeté et que peu de choses pourront être sauvées.

En somme, le pire est certain.

Mais là encore, tout cela est plus subtil. Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS dans leur essai de 2015 « Comment tout peut s’effondrer » rendent intelligibles les transformations en cours et mettent en avant des éléments à la fois objectifs et probants pour nous éclairer. Sans forcément sombrer dans le pessimisme mais en insistant plutôt sur le fait que …L’effondrement est l’horizon de notre génération, c’est le début de son avenir. Qu’y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer, et à vivre… ».

Alors, écouter l’historien Yuval Noah Harari, qui avait exploré le passé de notre humanité dans Sapiens, s’adonner à l’exercice risqué de l’anticipation, ne rend pas non plus béat d’optimisme. Ses hypothèses sur l’avenir du travail, lié aux développement de l’intelligence artificielle, nous laissent incrédules et anxieux : en même temps ! Après l’exploitation, voilà arrivé le règne de l’insignifiance. Notre terre sera bientôt peuplée d’inutiles (le terme revient souvent dans sa démonstration) mais tout n’est pas perdu ! L’humanité a encore la main si elle fait les bons choix (oui, mais lesquels ? Et c’est qui l’humanité ?)

Mais certains imaginent l’avenir autrement, comme une apocalypse certaine. Loin d’une mise en garde ou d’une insistance sur la morale ou la peur, le philosophe et psychanalyse Pierre-Henri CASTEL dans son essai un brin provocateur Le mal qui vient nous incite plutôt à profiter en célébrant une vie qui s’oppose vigoureusement à la mort, et qui pour cela n’a pas besoin de lendemain.

Face au cynisme de la spéculation, on est un peu désemparés. Alors, sur quoi s’appuyer ? Comment prendre en compte tout cela tout en restant centré sur l’instant, tout en nous préoccupant des générations futures sans être tétanisés par l’angoisse ! Heureusement, Pablo SERVIGNE ne s’intéresse pas qu’à l’effondrement. Son dernier ouvrage, écrit avec Gauthier CHAPELLE, « L’entraide, l’autre loi de la jungle », nous amène à regarder le monde d’une façon différente. Au fil de la lecture on y apprend qu’ « Un examen attentif de l’éventail du vivant révèle que, de tout temps, les humains, les animaux, les plantes, les champignons et les micro-organismes – et même les économistes ! – ont pratiqué l’entraide.

Qui plus est, ceux qui survivent le mieux aux conditions difficiles ne sont pas forcément les plus forts, mais ceux qui s’entraident le plus. Donc, plutôt que l’angoisse, la colère, la désignation de multiples bouc émissaires, il y aurait une autre façon de penser le rapport à la finitude, l’articulation entre soi et les autres, soi et le monde. Un monde plus solidaire où la compassion n’est pas qu’un slogan.

L’expérience de la chaire Humanité et Santé crée par Cynthia Fleury est l’illustration de cette vision : un lieu où s’échafaude une manière d’habiter le monde, et où la raison ne plie pas devant l’arraisonnement ambiant, et les pronostics d’effondrement.

Tout est donc à inventer. Ensemble. Ouf ! Le pire n’est donc pas certain !

Sources

Pablo SERVIGNE et Raphaël STEVENS, Comment tout peut s’effondrer, Essais, Anthropocène, Paris, 2015
http://www.seuil.com/ouvrage/comment-tout-peut-s-effondrer-pablo-servigne/9782021223316

Article de la revue Usbek et Rica, Qui sont vraiment les collapsologues ? Octobre 2018
https://usbeketrica.com/article/lanceurs-d-alerte-ou-survivalistes-sectaires-qui-sont-vraiment-les-collapsologues

Yuval Noah Harari, 21 leçons pour le 21 ième siècle, Albin Michel, Paris, 2018

Pierre-Henri CASTEL, Le mal qui vient, Editions du Cerf, 2018

Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, L’entraide, l’autre loi de la jungle, Editions les liens qui libèrent 2017

Chaire de philosophie à l’hôpital
https://chaire-philo.fr/rapport-dactivite/

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